jeudi 30 mars 2023

Argentine 1985 c. Argentine 2023. Éditorial du journal LA NACION.


Les motifs des procès sur la violence des années 1970 rouverts depuis 2004 ont été détournés de l’arrêt historique qui a condamné les juntes.


Éditorial du 4 mars 2023.

 

Une des audiences du procès historique aux juntes militaires, en 1985


 

 

 

 

 

 

 

La sentence qui a condamné les commandants des trois forces armées -particulièrement rappelée aujourd’hui à l’occasion du film primé Argentine 1985 – a été un jalon dans le retour de la démocratie et une démonstration de courage dans la défense des droits de l’homme. Les événements sans doute aberrants de cette période ont été conditionnés pour donner à l’œuvre un halo hollywoodien, aussi émouvant qu’éloigné de certaines questions inconfortables pour la politique dominante du XXIe siècle.

Il n’était pas possible d’exiger du film, du point de vue du genre cinématographique, qu’il soit exactement conforme à ce qui s’est produit dans la réalité. Ou qu’il n’a pas omis des questions importantes en tant qu’expression rigoureuse de l’histoire, mais que la direction de l’œuvre cinématographique a préféré laisser de côté pour des considérations d’une autre teneur. Le mauvais traitement d’un démocrate exemplaire comme Antonio Troccoli, homme de l’amitié intime de Ricardo Balbin et, plus tard, ministre de l’intérieur du président Raul Alfonsin, a déjà été dûment examiné par les journalistes et les hommes politiques. Arrêtons-nous donc sur la vision générale qui se dégage d’une distorsion flagrante de l’histoire entre le traitement judiciaire, en 1985, de la tragédie qui a dévasté le pays, et la manière dont, entre politique et justice, cet échafaudage juridique a été par la suite truqué sur des points essentiels.


Ni le bureau du procureur, dirigé par le Dr Julio Strassera, ni les juges qui ont siégé au tribunal n’ont considéré que les crimes commis par les juntes militaires étaient des crimes contre l’humanité et donc imprescriptibles. Cette catégorie de crimes a été incorporée dans la législation argentine en 2007, lors de la ratification du Traité de Rome. Autrement dit, bien après la dictature qui a duré de mars 1976 à décembre 1983. Le ministère public et les juges n’ont jamais fait appel à l’existence supposée d’une « coutume internationale » qui permettait d’appliquer, pour la première fois dans l’histoire de l’Argentine, une règle non écrite pour punir rétroactivement des personnes dans le cadre d’un procès pénal. C’est ce qui s’est passé dans les procès suivants.

Une règle non écrite avant les faits jugés a servi à permettre aux crimes d’être considérés comme imprescriptibles. C’est ce qu’a affirmé la nouvelle majorité de la Cour suprême de justice de la Nation dans l’arrêt « Aranciaba Clavel » en 2004, sous la présidence de Nestor Kirchner. Il s’agissait de la première d’une série de décisions qui ignoraient les principes de non-rétroactivité de la loi pénale et l’application de la loi pénale la plus bénigne. Les obstacles constitutionnels qui empêchaient la réouverture des dossiers relatifs aux événements tragiques des années 1970 ont ainsi été violés.


Les décisions qui ont permis ces réouvertures, sévèrement critiquées par l’Académie nationale de droit et des juristes de renom, ont méconnu le principe de légalité, qui interdit à l’État de sanctionner des comportements qui ne sont pas considérés comme des délits ou des crimes par une loi écrite. Cette loi aurait dû être sanctionnée par le Congrès et promulguée et publiée par le Pouvoir Exécutif avant la commission des actes.


Il ne s’agit pas de défendre des individus ou des comportements relevants de législations pénales, mais de sauvegarder des principes et des garanties.


Dans ces procès ré-ouverts, la prescription prévue par le code pénal a également été abolie pour les subordonnés jugés, même si, dans le jugement rendu dans l’affaire 13/84, elle a été appliquée en faveur des commandants, qui ont été acquittés de certains actes en raison du temps écoulé. Il n’a pas été fait mention dans cette procédure d’une quelconque règle écrite ou coutumière qui permettrait de considérer les crimes jugés comme imprescriptibles.Malgré la reconnaissance par la Cour du principe constitutionnel de l’autorité de la « chose jugée » – qui empêche de rejuger des faits déjà instruits et condamnés – ce principe constitutionnel a été ignoré dans les procès rouverts des années plus tard, privant les accusés d’une garantie fondamentale. Dans l’arrêt « Simon », rendu en 2005, la Cour suprême a déclaré que, dans ces affaires, les accusés ne pouvaient « invoquer ni l’interdiction de la rétroactivité de la loi pénale la plus grave ni l’autorité de la chose jugée », garanties constitutionnelles qu’elle a osé qualifier, de manière abusive, « d’obstacles » à l’avancement des affaires.


Les condamnations prononcées dans cette deuxième phase, pour ainsi dire, constituent une autre différence extraordinaire par rapport au procès de 1985. Le Commandant de l’Armée de l’air Orlando Agosti, avec 33 % de la responsabilité de la Junte militaire, avait été condamné cette année là à quatre ans et six mois de prison. Dans les procès qui ont été rouverts depuis 2004, les peines prononcées ont presque toujours été les peines maximales, bien au-delà des quatre ans et demi. Les grades les plus bas des forces armées – caporaux, sergents, sous-lieutenants – ont été condamnés à la prison à vie, et ont été punis également des civils des services de renseignement, procureurs, juges, fonctionnaires et prêtres.


Lorsque l’on tente d’adapter les principes juridiques qui régissent la vie de la République aux besoins d’une décision politique, on finit par construire des échafaudages qui ne résistent pas à une analyse rigoureuse de ce qui s’est passé. C’est sur ces piliers qu’a été bâtie la fausse idée d’une « suprématie morale », sur laquelle tourne la politique du kircherisme depuis 2003 et qu’un de nos brillants chroniqueurs politiques a détaillée dans l’édition de samedi dernier du supplément « Idées ». Le contraste flagrant entre cette idéalisation et la conduite corrompue des gouvernements qui l’ont utilisée sans scrupules a laissé des décombres dans son sillage après vingt ans. Le poids le plus lourd de cet effondrement pèse sur ceux qui ont le plus profité de ce récit.


La sentence de l’affaire 13/84, prononcée par la Chambre fédérale en séance plénière, a finalement été confirmée par la Cour suprême, qui en a ratifié et et élargi les motivations. Dans tous les nouveaux procès portant sur les mêmes questions, les considérants du mémorable jugement de 1985 ont été salués, mais appliqués avec partialité, parfois en contradiction flagrante avec la lettre et l’esprit de ces jugements. Non seulement un arrêt historique a été discrédité, mais en son nom, un système discriminatoire a été imposé dans le procès de centaines d’individus, les privant de droits constitutionnels fondamentaux. En outre, pendant des années, et sans les contrôles correspondants, des privilèges et des réparations économiques indues ont été maintenus et payés par le fisc dans le cadre de la manipulation idéologique de l’histoire contemporaine.


Surmonter les blessures du passé exige de réviser les procédures contraires à la loi afin de pouvoir se concentrer sur la résolution des énormes problèmes qui menacent la nation. Ceux-ci exigent l’engagement des institutions dans la recherche de solutions définitives qui ont été reportées de manière irresponsable par les gouvernants. Alimenter la division et le désordre social sur la base de slogans révolutionnaires, tel était l’objectif du terrorisme des années 1970, que le président Peron avait ordonné « d’exterminer » en 1974 et que le gouvernement de son épouse et successeur a jugé bon « d’anéantir ».


C’est pourquoi le courrier des lecteurs de dimanche dernier a suscité un vif intérêt, dans laquelle Enrique Munilla, ancien chef de l’Office de la Chambre Fédérale d’Investigation Criminelle dissoute dès l’entrée en fonction du Président Campora, y rappelle qu’entre le 25 mai 1973 et le 23 mars 1976, dans le cadre d’une politique d’extermination ou d’anéantissement ordonnée par deux gouvernements constitutionnels péronistes, 977 personnes ont disparu en Argentine.


Quelques responsables de l’actuelle coalition au pouvoir, si peu enclins à critiquer la féroce dictature nicaraguayenne, semblent se réclamer des objectifs du terrorisme subversif des années 70, aujourd’hui réaménagé dans l’extrême sud par des aventuriers qui soutiennent les droits des supposés peuples aborigènes. C’est un autre film que nous avons vu.


Il ne s’agit pas de défendre des individus ou des comportements qui peuvent relever de normes pénales, mais de sauvegarder des principes et des garanties essentielles de notre système juridique, qui ne peuvent pas régir pour les uns et les nier pour d’autres, remplaçant ainsi la justice par la vengeance.


Source : journal LA NACION.











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