vendredi 25 mars 2022

La persistance du droit pénal de l’ennemi - Editorial de la Nacion.


Les principes et garanties de la Constitution, tels que les droits de l’Homme, doivent être appliqués sans distinction d’identité des accusés. 

 

24 mars 2022 

LA NACION 

 

Quarante-six ans après le début de la dictature militaire, les Argentins ont appris à valoriser et à prendre soin de la démocratie et à suffisamment trembler face aux crimes aberrants des années 70 afin d’éviter qu’ils ne se reproduisent. Toutefois, si l’histoire continue d’être fragmentée de manière capricieuse et si les dures leçons du passé ne sont pas tirées de manière globale, mais plutôt comme un moyen d’obtenir la vengeance plutôt que la justice, cela ne fera qu’alimenter les haines et une notion autoritaire selon laquelle les droits de l’Homme ne sont que pour quelques-uns. 

 

La première décennie de ce siècle a vu se développer une pratique qui perdure à ce jour, consistant à créer une catégorie spéciale de crimes et d'accusés auxquels sont refusés les droits et garanties constitutionnels et procéduraux dont devrait bénéficier toute personne accusée ou condamnée pour tout crime, y compris les plus graves et les plus aberrants, tels que l'homicide, le viol et la séquestration accompagnée d'une rançon. 

 
Il s'agit des personnes accusées et condamnées pour crimes contre l'humanité. C'est cette catégorie qui a été réservée aux membres des forces armées et de sécurité et aux agents de l'État pour leur action à partir du 24 mars 1976, date du dernier coup d'État militaire. Non seulement son application a été refusée aux délits commis, par exemple, pour le Triple A et les armées de López Rega, sans aucune base juridique pour une telle distinction, mais son application a également été refusée aux membres d'organisations terroristes telles que l'ERP ou Montoneros, contrairement à la jurisprudence internationale qui étend cette catégorie de crimes aux personnes qui, bien que n'étant pas membres de forces étatiques ou para-étatiques, sont responsables d'attaques généralisées contre des civils non-combattants. 

 
Avec la complicité d'une bonne partie du pouvoir judiciaire, un « droit pénal spécial » a été mis en place pour les accusés et les condamnés pour crimes contre l'humanité. 

 

Tout d'abord, les tribunaux ont adopté cette infraction de manière rétroactive, en flagrante violation de la garantie de l'article 18 de la Constitution nationale selon laquelle « nul ne peut être puni sans un procès préalable fondé sur une loi antérieure au fait du procès ». En effet, les crimes contre l'humanité ont été créés par le Statut de Rome de 1998, qui est l'instrument constitutif de la Cour pénale internationale, ratifié par l'Argentine par le biais d'une loi adoptée le 30 novembre 2000. 

 
 

Les accusés de ces délits se sont vu refuser la prescription pour écoulement du temps et l'application du principe de la loi pénale la plus bénigne que consacre notre Code pénal. Ils n'ont pas non plus bénéficié de la libération ou du bénéfice de l'assignation à résidence dont jouissent les personnes âgées de plus de 70 ans ou celles pour lesquelles cela est nécessaire pour des raisons de santé, d'une manière manifestement discriminatoire à l'égard des personnes accusées ou condamnées pour d'autres infractions. À cela s'ajoute le maintien en détention provisoire sans condamnation malgré le dépassement des délais légaux et le traitement plus favorable accordé aux personnes poursuivies pour d'autres infractions. 

 

Cette combinaison de violations des droits a entraîné la mort de 615 accusés de crimes contre l’humanité, en leur majorité membres des forces armées et de sécurité, sans qu'aucune condamnation n'ait été prononcée. Parmi eux, plus de 500 étaient âgés de plus de 70 ans et se sont pourtant vu refuser la détention à domicile. L'âge moyen des personnes décédées est de 78 ans ; le plus jeune était âgé de 69 ans et le plus âgé de 95 ans. Le nombre total de personnes accusées de ce type de crime, incluant celles qui n'ayant pas été poursuivies, celles poursuivies et celles condamnées, s'élève à 2 563, dont seulement 1 005 ont été condamnées, bien que les poursuites pour ces crimes aient commencé il y a presque 20 ans. 

 

Juan Carlos Cociña, 77 ans, assistant de quatrième catégorie du Service pénitentiaire fédéral, décéda en janvier dernier. Il souffrait d'une grave maladie pulmonaire, avec des antécédents cardiaques (deux stents lui avaient déjà été posés), et devait donc être assigné à résidence, pourtant le juge Daniel Rafecas ordonna sa détention dans l'unité 34 de Campo de Mayo. Là, il fut infecté par la Covid et donc été transféré à l'unité pénitentiaire 21 de l'hôpital Muñiz, où il est décédé quatre jours après avoir contracté le virus. 
 

La discrimination ne pourrait pas être plus évidente si elle était comparée à la libération de prisonniers dangereux pendant la pandémie pour « éviter » la contagion. Dans le cas de Cociña, outre les considérations de santé et d'âge, la seule chose que le défenseur officiel avait demandée était sa détention à domicile afin d'éviter le risque de contracter le coronavirus. D'autre part, la détention à domicile aurait dû lui être attribuée parce qu'il avait plus de 70 ans. 

 

Malheureusement, d'autres types de violations des droits de l'homme concernant des personnes accusées de ces crimes persistent. L'une des conditions élémentaires de la poursuite pénale est que chaque accusé conserve son individualité. Ce qui signifie qu'il doit donc être jugé pour ses propres actes et omissions, la responsabilité pénale étant nécessairement personnelle. Nombreux sont les exemples pour lesquels, afin de simplifier le traitement des affaires pénales, une série de faits sont inclus dans une même affaire dans laquelle les accusés sont tenus responsables non seulement de leur propre comportement, mais également de celui du groupe ou du « collectif » d'accusés, sans faire de distinction entre les responsabilités individuelles.

 

Dans le cas de crimes commis dans les camps de détention clandestins, une série de situations qui, bien que punissables par le droit pénal, ne relèvent pas de la première catégorie, sont incluses dans les crimes contre l'humanité. C'est ainsi que ces infractions sont assimilées, avec les conséquences négatives décrites, à des situations très différentes, dans lesquelles il n'y a pas eu de disparition forcée ni de plaintes pour torture, et dans lesquelles la détention n'a duré que quelques heures ou quelques jours. Cette pratique conduit à des situations injustes et dévalorisantes, puisque, d'une part, des individus sont accusés de comportements « collectifs », mais pas les leurs, et d'autre part, des crimes qui devraient de toute façon être qualifiés de crimes de droit commun sont qualifiés de crimes contre l'humanité, privant ainsi les accusés du traitement et des garanties que le droit pénal et procédural prévoit pour la généralité des crimes. 
 

L'absurdité ne s'arrête pas là. Les affaires dans lesquelles la responsabilité pénale des accusés a été établie pour des faits ayant fait l'objet de poursuites dans d'autres affaires dans lesquelles l'absence d'infraction avait été établie se multiplient, parce que les victimes ont été libérées en quelques heures sans avoir été torturées, ni soumises à des contraintes. Ceci fut le cas, par exemple, dans des affaires jugées par le Tribunal fédéral oral n° 1 de La Plata, où Jaime Smart fut condamné pour des faits jugés dans d'autres affaires, telles que l'affaire 13 (contre les anciens commandants en chef) et l'affaire 44 (contre les généraux Camps et Ricchieri), dans lesquelles les accusés ont été acquittés au motif que certains faits particuliers ne constituaient pas des infractions pénales. Il est absurde que le tribunal, en absence de nouvelles preuves, considère que les mêmes faits ont constitué un délit, entraînant ainsi une situation de contradiction judiciaire inacceptable. 

 
Ces situations sont inadmissibles, non seulement parce qu'elles violent des principes constitutionnels élémentaires tels que l'égalité devant la loi et la sécurité juridique, mais également parce qu'elles disqualifient le pouvoir judiciaire et sa crédibilité en tant que juge indépendant et impartial. 

 

De nombreuses années se sont écoulées depuis l'instauration de ce véritable droit pénal de l'ennemi. Si le pouvoir judiciaire aspire à être respecté pour l’intégrité et l’impartialité de ses jugements et le respect des garanties constitutionnelles, et si l'Argentine entend laisser derrière elle le « fossé » créé par les gouvernements kirchneristes, il est temps de réappliquer la Constitution nationale indépendamment de l'identité des accusés et des positions politiques. 

 
 

LA NACION 

 

 Traduit de l'article original publié en espagnol
 

 

 

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