« Tout
homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été
déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter,
toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa
personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».
Article 9 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.
Si
nous nous habituons peu à peu à voir ce principe malmené par les
réseaux sociaux en France, en Argentine la justice a troqué
l’article 9 par le lynchage judiciaire dans les affaires dites « de
lèse humanité », sous la férule d’ organisations se
réclamant de la défense des Droits de l’Homme.
Accusé
en 2008 par le journal argentin « Pagina 12 » d’avoir
commis des crimes contre l’humanité qui auraient conduit à la
disparition de plus de 600 personnes pendant la dictature militaire
de 1976 à 1983 (accusation reprise ensuite en intégralité par un
Procureur argentin qui s’était saisi de l’affaire), Mario
Sandoval a finalement été extradé en Argentine en 2019 pour être
jugé pour un seul cas, la justice française estimant qu’il n’y
avait pas d’éléments permettant de lier ces accusations avec sa
personne. L’élément retenu dans ce dossier est le suivant :
en 1976, un homme se présentant comme « Sandoval de
Coordination Fédérale » serait venu arrêter cette personne à
son domicile, et est restée disparue depuis.
A 46
ans des faits supposés, les trois magistrats du Tribunal Oral
Fédéral numéro 5 de la Capital de Buenos Aires ont débuté mi
septembre en « système mixte » (présentiel et virtuel)
son procès, au rythme d’une matinée par semaine puis par
quinzaine. Ce procès fut une parodie de justice de bout en bout. Le
Procureur et deux des trois magistrats ont été révoqués pour
manque d’impartialité par Mario Sandoval, le premier en raison des
liens qu’il entretient avec l’une des parties civiles, et les
second pour avoir déjà jugé de ce cas en 2017 (en condamnant 14
personnes), mais le Tribunal est passé outre. Au delà de cette
absence d’impartialité et de la violation continue du principe de
la présomption d’innocence, le droit à la défense fut réduit à
la portion congrue. Il n’y eut aucun débat contradictoire, les
règles de la Cour de Cassation interdisant dans ces procès de
porter la contradiction aux témoins-victime afin de ne pas les
re-victimiser. Leur parole est portée au rang de vérité qu’il ne
faut pas questionner, malgré le temps passé, et les souvenirs
« reconstruits » ou soufflés par d’autres.
C’est
dans ces conditions que Mario Sandoval a été jugé et condamné, à
partir de témoignages controversés recueillis dans des conditions
douteuses après la parution de l’article de Pagina 12, et qui se
trouvent être en totale contradiction avec ceux recueillis à
l’époque des faits auprès des mêmes personnes. Lesdits témoins
ont en effet indiqués lors de leurs déclarations qu’ils avaient
été contactés par l’avocate française Sophie Thonon après la
parution de cet article, et que cette dernière, en possession du
dossier judiciaire, leur avait montré le dossier professionnel de
Mario Sandoval. C’est suite à cela qu’ils l’ont, selon leurs
dires, identifié comme la personne qui serait venue chez eux lors de
leur déposition devant le magistrat saisi de l’enquête. Ces
dernières déclarations sont contraires à toutes celles qui avaient
été réalisés auparavant, qui avaient conduit l’enquête
judiciaire menée à l’époque à conclure à un non lieu, les
descriptions physiques de cette personne ne correspondant en rien à
Mario Sandoval.
Depuis,
sur la base de cet article et des témoignages recueillis dans des
conditions douteuses, les associations dites de droits de l’homme
et le Secrétariat des Droits de l’Homme argentin, toutes parties
civiles au procès, mais également la justice argentine, n’ont
cessé de violer la présomption d’innocence de l’accusé. Elles
ont ensuite fait constamment fait pression sur le Tribunal par leur
comportement, allant même jusqu’à inventer une « menace »
qui aurait été formulée par l’accusé lors de sa déclaration,
alors que ce dernier ne faisait que répéter ce qu’eux-mêmes
avaient déclaré. Puis ce fut la surenchère dans les plaidoiries,
certaines parties civiles allant réclamant des peines de prison de
20 ans à perpétuité, ou encore que l’accusé soit condamné pour
« génocide ».
Il
est évident qu’un dossier d’accusation ayant été ramené de
600 cas de disparitions à un seul par la justice française, du fait
de l’absence d’éléments probants en lien avec l’accusé
(hormis la mention d’une carte professionnelle portant le même nom
de famille), devrait interpeller tout un chacun sur la crédibilité
de ces accusations, qui ne reposent que sur des témoignages
contradictoires, qui diffèrent avant et après cet article de
presse. Ainsi à défaut d’éléments dans le dossier, les parties
civiles n’ont cessées de répéter leurs accusations, comme autant
d’affirmations dogmatiques que le Procureur a repris à titre de
« preuves ». Il n’a à aucun moment cherché à établir
la vérité judiciaire avec l’objectivité qui sied en principe à
son rôle, écartant tous les éléments du dossier à décharge,
pour ne garder que les éléments à charge, et créditer des liens
hasardeux ou invérifiables. Il est même allé jusqu’à affirmer
dans sa plaidoirie que peu importait que les témoins se trompent ou
se contredisent dans leurs déclarations, puisque selon lui, « il
était prouvé » (à quel moment et par qui?) que l’accusé
était bien l’auteur des faits. Aujourd’hui encore on peine à
savoir dans ce dossier quels sont ces faits illégaux qui lui
seraient reprochés, tant les accusations et les chefs d’inculpation
n’ont cessé de varier dans le temps. Alors que le Tribunal en
charge de l’instruction avait décidé d’élever l’affaire à
un procès oral pour des faits de privation illégale de liberté,
correspondant ainsi à la décision d’extradition rendue par le
justice française, le Tribunal a décidé de manière unilatérale
d’ajouter des faits de tortures au premier jour des débats, ne
correspondant ni à ce qui avait été consenti par la France, ni à
la réalité du dossier.
Finalement,
le pire de ce procès est qu’il fait écho à une pensée très
répandue chez les juristes de ce pays, à l’instar de Guido
Croxatto, Director National de l’Ecole du Corps des avocats de
l’État, qui défend dans une note publiée en début d’année
2020 la thèse de « l’indifférence probatoire »,
selon laquelle « demander des preuves à l’occasion des
procès pour crimes contre l’humanité serait un acte de cynisme et
d’indirecte complicité civile avec l’accusé ». Toujours
selon l’opinion de l’auteur, l’absence de preuves ne ferait pas
obstacle à ce que les accusés de lèse-humanité soient condamnés
(!). Cette affirmation balaie des années de construction de droit
pénal, qui veut qu’une personne accusée reste innocente jusqu’à
avoir démontré le contraire, et que le doute bénéficie à
l’accusé. Or depuis la publication de l’article de Pagina 12 en
2008 le principe du droit à la présomption d’innocence de Mario
Sandoval a été constamment bafoué tant par les médias que les
parties civiles, l’État argentin, et, plus
grave, la justice
argentine.
Aujourd’hui,
après avoir battu en brèche déjà de nombreux principes
intangibles de droit pénal dans
ces procès dits de « lèse humanité »,
la justice argentine a fait un pas de plus dans l’horreur
juridique telle que pensée
par M. Croxatto, pour qui
: « le récit
précédant le procès, nous savons déjà que la personne est
coupable, peu importe les règles pénales. Le procès n’est
là que pour confirmer notre propre croyance »,
que l’on pourrait
résumer par le titre
de l’article du professeur Rosier publié dans le
journal la Nacion à
propos de l’affaire Tommasi : « ils
condamnent sans preuves
mais sans doutes ».
Ces
critères sont
dignes d’une justice inquisitoriale, dans
laquelle nous serions tous des coupables en puissance, et
n’ont
pas leur place dans une société qui se prétend défendre l’État
de droit. Comme le
rappelle justement le Professeur Rosler,
« en raison de la
présomption d’innocence, nul ne peut être condamné pour le seul
fait qu’il n’est pas impossible qu’il ait commis l’infraction.
Pour qu’une condamnation soit conforme à la loi, il doit y avoir
des preuves que les accusés ont commis l’acte en question. Le
simple doute raisonnable à ce sujet joue en faveur des accusés. »
Ainsi
et sans qu’il ne soit
besoin d’attendre la lecture des fondements
du verdict, nous pouvons
dors et déjà affirmer que ce
procès était inéquitable et le
verdict arbitraire, en violation manifeste de
plusieurs conventions
internationales, pourtant
élevées en Argentine
au rang de valeur constitutionnelle, et
en premier lieu l’article
14 .2 du Pacte
international des Droits civils et Politiques qui
prévoit
que : «Toute
personne accusée d'une infraction pénale est présumée innocente
jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
Condamner
une personne sur la base d’un récit ou d’affirmations
dogmatiques sans jamais
démontrer les accusations
à son encontre comme
il s’est agit
ici constitue un brutal
retour en arrière de la
justice argentine. Comme
le rappelait Benjamin Franklin :
« Une
fois que nous cessons d’exiger des preuves, c’est à dire, une
fois que nous abandonnons la présomption d’innocence, les lois se
forgent comme armes et les codes se transforment en déclarations de
guerre. »
(Benjamin
Constant, les
Écrits politiques).
En bafouant
le principe de
présomption d’innocence et en établissant
de fait un
« principe »
de culpabilité par
accusation dans des procès
appelés abusivement « crimes contre l’humanité »,
les juges argentins ont
ouvert la porte à de
graves dérives et
amené la justice de ce pays à la pire régression de son histoire.
Casppa France,
5 janvier 2023.