L’épidémie du Covid 19 met en exergue le deux poids deux mesures de la justice vengeresse argentine et démontre à quel point certains magistrats sont devenus des affidés du pouvoir dans cette fuite en avant dévastatrice.
Alors que l’État argentin est déjà responsable
de la mort en captivité de 570 prisonniers politiques accusés illégalement de
crimes contre l’humanité, le coronavirus qui sévit de plus belle dans ce pays
met en exergue l’acharnement de la justice à l’encontre de cette population
carcérale dont la moyenne d’âge est pourtant de 75 ans, et démontre la différence
de traitement dont elle fait preuve une fois de plus.
Ces prisonniers font clairement partie
de la population la plus à risque face à ce virus, et nombre d’entre eux ont
légitimement sollicité la prison domiciliaire en raison du risque qu’ils
encourraient. Pourtant les juges en charge de ces affaires ont jusqu’à
maintenant systématiquement refusé les demandes à de rares exceptions près (73%
de refus à la date du 26 juin)[i].
Cette différence de traitement avec les prisonniers
du clan Kirchneriste accusés de corruption a déjà été largement relevé et
commenté dans les médias de ce pays, notamment pour le plus célèbre d’entre eux[ii] ;
ces derniers ont bénéficié largement de ces mesures, bien que n’étant pas parmi
les populations les plus exposées. Enfin les prisonniers de droit commun dont
les prisons étaient touchées par cette épidémie ont bénéficié aussi largement
de mesures domiciliaires, ou de liberté anticipée, compte tenu notamment des
conditions de surpopulation dans lesquelles ils étaient détenus.
Rappelons accessoirement que de nombreux
accusés de crimes contre l’humanité sont en détention provisoire en attente de
leur procès ou en appel. Ces personnes sont donc présumées innocentes, tant qu’un
jugement définitif ne les a déclarés coupable. Une détention provisoire est justifiée pour
éviter la fuite ou l'élimination de preuves ou encore la répétition du délit ou
du crime. On voit mal comment ces 3 conditions seraient remplies dans les cas
qui nous occupent, plus de 40 ans après les faits supposés, et s’agissant de
personnes âgées atteintes pour beaucoup de lourdes pathologies. D'autres alternatives à la détention existent. Rappelons ici que les 590 accusés décédés à ce
jour étaient tous dans ce cas de figure, et sont morts en détention sans être
condamnés. Les responsables de ces morts devront rendre des comptes.
Mais étrangement concernant les accusés
des mal nommés crimes contre l’humanité, ces morts ne suffisent pas, et les juges continuent
de faire usage de toute la capacité d’imagination dont ils sont capables pour
trouver des arguments de refus aux demandes de libération ou de détention domiciliaires (et non de principes juridiques qu’ils sont
sensés appliquer !). A les en croire, ces prisonniers seraient même des
privilégiés, car ils seraient mieux soignés que la plupart des citoyens
argentins lambda. Lire un tel argument fallacieux émanant d’un magistrat est
assez effrayant et démontre une fois de plus l’irrationalité qui touche à ce sujet,
alors que la justice est censée apporter une réponse apaisée à la société, loin
des passions qui l’agitent. Ici on enferme jusqu'à ce que mort s’ensuive, comme le revendique les associations "de droit de l'homme" argentine.
Par ailleurs pour qui connaît la réalité
des prisons argentines, cette situation a de quoi être effrayante, et alors même que « l’état
d’urgence pénitentiaire » a été déclaré il y a plus d’un an,. Rappelons que
dans ses observations et recommandations à la suite de sa visite de 2018 en
Argentine, le rapporteur des Nations-Unies contre la torture et les traitements
inhumains et dégradants a déclaré à propos des lieux de détention argentins « Je
tiens à souligner que les conditions de détention que je viens de décrire sont
contraires aux normes internationales et totalement incompatibles avec la
dignité humaine. Il ne fait aucun doute qu’en permettant que cette situation se
reproduise, se poursuive et s’aggrave malgré les demandes répétées de la
société civile et des mécanismes internationaux, l’Argentine est responsable
d’une situation généralisée, et violation persistante de la Convention contre
la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il
n’y a aucune justification économique, politique, juridique ou autre à toute
action ou omission des pouvoirs législatif, exécutif ou judiciaire qui
exposerait délibérément les êtres humains à ces conditions intolérables. »
Aujourd’hui plusieurs unités pénitentiaires
fédérales sont touchées par le coronavirus[iii],
et tout tend à croire que bientôt celui-ci ne sera plus sous contrôle. Cette
urgence sanitaire vient s’ajouter à un état de délabrement avancé et à des
conditions indignes déjà dénoncées[iv],
et cette épidémie aura d’autant plus d’impact si elle touche des personnes âgées
et malades. Les juges sont au courant de cet état de fait, mais feignent de l’ignorer
en ordonnant que le service pénitentiaire (SPF) fasse le nécessaire pour garantir
le protocole sanitaire et justifier ainsi le maintien en détention de ces
personnes. Ces décisions sont terriblement cyniques, car les magistrats savent
que le SPF n’a pas les moyens de mettre en œuvre cette demande. Qu'attend t'on pour agir?
Ainsi la justice argentine devrait-elle
cesser de considérer qu’elle peut décider tout et n’importe quoi s’agissant de « crimes
contre l’humanité » et se comporter enfin conformément aux engagements
internationaux auxquels ce pays a adhéré. Il en va de la responsabilité de l’État
argentin, mais aussi de la responsabilité individuelle de chacun, juge, médecin,
personnel du service pénitentiaire fédéral. Il est choquant qu’au nom des
droits de l’Homme et de la justice, on commette aujourd’hui et en toute
connaissance de cause de tels traitements inhumains et dégradants sur des
personnes en état de vulnérabilité, et dont une majorité n’a pas été condamnée. Le Président Fernandez doit démontrer
aujourd’hui que ses paroles[v]
ne s’adressaient pas uniquement à « ses prisonniers », mais bien à tous, s'il ne veut pas avoir la vie d'autres personnes injustement détenues sur la conscience. Le temps presse.
Casppa France, le 24 juillet 2020.
[i] https://www.fiscales.gob.ar/lesa-humanidad/la-pcch-compendio-las-resoluciones-judiciales-sobre-covid-19-en-materia-de-lesa-humanidad-y-presenta-nuevas-estadisticas/
[ii] https://www.clarin.com/politica/justicia-otorgo-prision-domiciliaria-ex-vicepresidente-amado-boudou_0_mahDQCnFe.html