Justice et Droits de l’homme en Argentine vue par l’Eglise Catholique.
Du 29 au 31 octobre dernier, dans le cadre du soixante-dixième anniversaire
des Conventions de Genève du 12 août 1949, le Vatican a organisé à Rome le
Cinquième cours international de formation des aumôniers militaires catholiques
au droit international humanitaire. Lors de cette conférence internationale, un
haut dignitaire de l’Eglise Catholique Argentine, S. Exc. Mgr Olivera, a réalisé un réquisitoire sur
la situation de la justice et les droits de l’homme en Argentine.
Parmi les participants à cette rencontre, se trouvaient Mme. Els Debuf,
Chef adjoint de la délégation régionale du CICR, Mme. Anne Schintgen, Directrice
du Bureau de liaison des Nations Unies pour les enfants et les conflits armés
en Europe, le Dr. Jelena Aparac, du Groupe de travail sur l’utilisation des
mercenaires de la Commission des droits de l’homme de l’ONU Genève, M. Alain
Deletroz, DG de l’organisation humanitaire, Appel de Genève, Suisse, le Prof.
Antonello de Oto, Université de Bologne, le Prof. Giulio Bartolini, Université de Rome, le Dr.
Aloysius John, Secrétaire Général de Caritas International, ainsi que des
représentants d’organisations internationales, des évêques provenant de
différentes parties du monde, des professeurs d’université et des diplomates
invités.
S.
Exc. Mgr Santiago Olivera, évêque des Armées et des forces de sécurité
fédérales, nommé à ce poste par le Pape, et par ailleurs membre de la Conférence
épiscopale argentine, a dénoncé le cadre judiciaire grave des détentions
et les violations des droits de l’homme des accusés de crime contre l’humanité[1].
Voici une traduction française de sa communication (titre version en espagnol: detenciones y derechos humanos)
...Il
m’a été demandé de donner un témoignage sur cette situation de prisonniers
militaires et les droits de l’homme. Je parlerai ici surtout de ce qui s’est
passé après la dictature en Argentine de 1976 à 1983.
C’est
un honneur de pouvoir partager avec vous ces réflexions sur les conditions de
détention et les droits de l’homme. Droits de l’homme qui sont universels. Mon
pays a connu des événements regrettables à cet égard et, aujourd’hui encore, de
nombreuses blessures n’ont pas été guéri. Mais je suis convaincu, et je
l’exprime chaque fois que je dois intervenir sur ces sujets, que la VÉRITÉ A
UNE FORCE RESPLENDISSANTE.
Il
s’agit d’une question très sensible à notre réalité argentine et qui mérite un traitement
serein, clair et véridique, avec le plus grand effort pour ne pas être teinté
par une idéologie quelconque. D’autre part, je suis certain que le magistère du
Pape François, qu’il a manifesté dans ses diverses expressions, catéchèses et
voyages apostoliques, doit nous encourager à parcourir des chemins de rencontre
et de justice. Sans vérité et sans justice, il ne saurait y avoir de paix
stable.
Nous
savons tous et nous convenons que la fin ne justifie jamais les moyens. Et
vouloir justifier des actions pour violations des droits de l’homme, en violant
ces mêmes droits, est un contresens. Malheureusement, on peut parfois recourir
à des pratiques qui, tentant d’être exemplaires, débouchent sur des situations
de violation flagrante des règles relatives à la détention provisoire, même
pour des personnes de plus de 70 ans et dont la santé se détériore nettement,
par exemple, en les amenant dans les salles d’audience sur des civières.
Nous
ne pouvons pas non plus faire taire ce qui est négatif pour la personne
elle-même et pour la valeur de la justice lorsque nous nous trouvons, dans
certains cas, avec des partialités et des préjugés, tant de la part des organes
judiciaires eux-mêmes que des communicateurs sociaux qui donnent pour “jugées” les
actions et “jugés” leurs protagonistes sans qu’ils puissent s’exprimer ou se
défendre librement, affectant clairement le procès équitable. En ce sens, une
grande différence est évidente dans leurs traitements. Les militaires sont
appelés “génocidaires” ou “répresseurs” tandis que les terroristes et les
subversifs “jeunes idéalistes”.
Cela
fait deux ans et demi que je suis évêque militaire en Argentine, après 10 ans
sans la possibilité de pourvoir le siège vacant en raison de situations que je
ne saurais expliquer dans ce contexte. Je viens du diocèse territorial et bien
que je sache de manière plus éloignée de certaines de ces situations et
réalités, ma condition de pasteur et de père m’a rapproché de cette
problématique. Ainsi, en écoutant et en m’accompagnant, je peux témoigner des
injustices qui sont commises. Depuis peu j’ai su dire que, dans quelques
années, beaucoup d’entre nous devrons demander pardon pour tant de silence.
Il
serait très long de compter autant de témoignages que j’ai recueillis ces
dernières années. Tristes et dramatiques témoignages. Personnes âgées qui ont
été détenues pendant plus de 9 ans, dans une « détention provisoire »
prolongée, souffrant de tout ce que cet état leur a signifié. Ils ont été et
sont qualifiés de “génocidaires » et, malgré cela, quelques-uns ont été
acquittés. Pire encore, ils sont jugés par des lois techniquement rétroactives,
éloignées des principes fondamentaux du droit pénal, national et international.
Cette
détention provisoire se transforme ainsi de facto en une “condamnation à vie ».
Rappelons-nous ici les enseignements du Pape François qui, dans son discours
aux membres de la Commission internationale contre la peine de mort, en
décembre 2018, et ayant “la certitude que chaque vie est sacrée et que la
dignité humaine doit être gardée sans exception” a indiqué que la peine de mort
est une “cruelle forme de châtiment” et aussi que “les peines à perpétuité sont
une forme de peine de mort déguisée ». Dans le même esprit et plus
récemment, le 14 septembre dernier, des membres de la police pénitentiaire ont
appelé à s’engager à « garantir à ce que la peine ne compromette pas le
droit à l’espoir et à ce que les perspectives de réconciliation et de
réintégration soient assurées. Tout en corrigeant les erreurs du passé, on ne
peut pas effacer l’espoir dans l’avenir. Car si on enferme dans une cellule
l’espérance, il n’y a pas d’avenir pour la société », s'’écria-t-il : « Ne
jamais se priver du droit de recommencer à zéro ! ». Que la juste
peine ait pour horizon la réinsertion et la vie en liberté.
Dans
mon pays, dans l’état de détention provisoire, un nombre considérable de ces
détenus perdent la vie faute de soins médicaux appropriés, qu’ils devraient avoir
à leur âge avancé.
Nous
pouvons parler d’une faute professionnelle judiciaire dans ce que l’on appelle
les procès des crimes contre l’humanité, car tous les accusés sont privés de
liberté pendant le temps que le procès se déroule. Le maximum légal pour cet
état de détention, qui atteint une durée maximale de détention préventive de 2
ans, pouvant être prolongé pour cause justifiée à 3 ans, n’est absolument pas
respecté.
Pour
illustrer ce qui précède, j’apporte quelques données statistiques sur la
question évoquée dans mon pays mises à jour d’octobre :
·
Décès en prison : 533
·
Inculpés : 847
·
Condamnés : 983
·
Total: 2364
Prisons
provisoires.
·
Moyenne de prisons
provisoires : au-delà de 6 ans
·
Prison Provisoire entre
3 à 6 ans : 149 cas
·
Prison provisoire
entre 6 à 10 ans : 290 cas
·
Prison provisoire de
plus de 10 ans : 93
Pouvons-nous
parler des droits de l’homme avec 10 ans de détention provisoire, c’est-à-dire
sans condamnation ? TEXTE COMPLET Paris, 11 novembre 2019. Casppa France
[1] El cimiento de una
República, de un verdadero estado de derecho, no debe ser el odio https://obispadocastrenseargentina.org/contenidos/roma-el-cimiento-de-una-republica-de-un-verdadero-estado-de-derecho-no-debe-ser-el-odio/
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Présentation communication S.Exc. Mgr Olivera |
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