lundi 11 novembre 2019

Justice et Droits de l’homme en Argentine vue par l’Eglise Catholique.

Du 29 au 31 octobre dernier, dans le cadre du soixante-dixième anniversaire des Conventions de Genève du 12 août 1949, le Vatican a organisé à Rome le Cinquième cours international de formation des aumôniers militaires catholiques au droit international humanitaire. Lors de cette conférence internationale, un haut dignitaire de l’Eglise Catholique Argentine, S. Exc. Mgr Olivera, a réalisé un réquisitoire sur la situation de la justice et les droits de l’homme en Argentine. 
 
Parmi les participants à cette rencontre, se trouvaient Mme. Els Debuf, Chef adjoint de la délégation régionale du CICR, Mme. Anne Schintgen, Directrice du Bureau de liaison des Nations Unies pour les enfants et les conflits armés en Europe, le Dr. Jelena Aparac, du Groupe de travail sur l’utilisation des mercenaires de la Commission des droits de l’homme de l’ONU Genève, M. Alain Deletroz, DG de l’organisation humanitaire, Appel de Genève, Suisse, le Prof. Antonello de Oto, Université de Bologne, le Prof.  Giulio Bartolini, Université de Rome, le Dr. Aloysius John, Secrétaire Général de Caritas International, ainsi que des représentants d’organisations internationales, des évêques provenant de différentes parties du monde, des professeurs d’université et des diplomates invités.  

S. Exc. Mgr Santiago Olivera, évêque des Armées et des forces de sécurité fédérales, nommé à ce poste par le Pape, et par ailleurs membre de la Conférence épiscopale argentine, a dénoncé le cadre judiciaire grave des détentions et les violations des droits de l’homme des accusés de crime contre l’humanité[1].

Voici une traduction française de sa communication (titre version en espagnol: detenciones y derechos humanos)

...Il m’a été demandé de donner un témoignage sur cette situation de prisonniers militaires et les droits de l’homme. Je parlerai ici surtout de ce qui s’est passé après la dictature en Argentine de 1976 à 1983.

C’est un honneur de pouvoir partager avec vous ces réflexions sur les conditions de détention et les droits de l’homme. Droits de l’homme qui sont universels. Mon pays a connu des événements regrettables à cet égard et, aujourd’hui encore, de nombreuses blessures n’ont pas été guéri. Mais je suis convaincu, et je l’exprime chaque fois que je dois intervenir sur ces sujets, que la VÉRITÉ A UNE FORCE RESPLENDISSANTE.
 
Il s’agit d’une question très sensible à notre réalité argentine et qui mérite un traitement serein, clair et véridique, avec le plus grand effort pour ne pas être teinté par une idéologie quelconque. D’autre part, je suis certain que le magistère du Pape François, qu’il a manifesté dans ses diverses expressions, catéchèses et voyages apostoliques, doit nous encourager à parcourir des chemins de rencontre et de justice. Sans vérité et sans justice, il ne saurait y avoir de paix stable.

Nous savons tous et nous convenons que la fin ne justifie jamais les moyens. Et vouloir justifier des actions pour violations des droits de l’homme, en violant ces mêmes droits, est un contresens. Malheureusement, on peut parfois recourir à des pratiques qui, tentant d’être exemplaires, débouchent sur des situations de violation flagrante des règles relatives à la détention provisoire, même pour des personnes de plus de 70 ans et dont la santé se détériore nettement, par exemple, en les amenant dans les salles d’audience sur des civières.

Nous ne pouvons pas non plus faire taire ce qui est négatif pour la personne elle-même et pour la valeur de la justice lorsque nous nous trouvons, dans certains cas, avec des partialités et des préjugés, tant de la part des organes judiciaires eux-mêmes que des communicateurs sociaux qui donnent pour “jugées” les actions et “jugés” leurs protagonistes sans qu’ils puissent s’exprimer ou se défendre librement, affectant clairement le procès équitable. En ce sens, une grande différence est évidente dans leurs traitements. Les militaires sont appelés “génocidaires” ou “répresseurs” tandis que les terroristes et les subversifs “jeunes idéalistes”.

Cela fait deux ans et demi que je suis évêque militaire en Argentine, après 10 ans sans la possibilité de pourvoir le siège vacant en raison de situations que je ne saurais expliquer dans ce contexte. Je viens du diocèse territorial et bien que je sache de manière plus éloignée de certaines de ces situations et réalités, ma condition de pasteur et de père m’a rapproché de cette problématique. Ainsi, en écoutant et en m’accompagnant, je peux témoigner des injustices qui sont commises. Depuis peu j’ai su dire que, dans quelques années, beaucoup d’entre nous devrons demander pardon pour tant de silence.

Il serait très long de compter autant de témoignages que j’ai recueillis ces dernières années. Tristes et dramatiques témoignages. Personnes âgées qui ont été détenues pendant plus de 9 ans, dans une « détention provisoire » prolongée, souffrant de tout ce que cet état leur a signifié. Ils ont été et sont qualifiés de “génocidaires » et, malgré cela, quelques-uns ont été acquittés. Pire encore, ils sont jugés par des lois techniquement rétroactives, éloignées des principes fondamentaux du droit pénal, national et international.

Cette détention provisoire se transforme ainsi de facto en une “condamnation à vie ». Rappelons-nous ici les enseignements du Pape François qui, dans son discours aux membres de la Commission internationale contre la peine de mort, en décembre 2018, et ayant “la certitude que chaque vie est sacrée et que la dignité humaine doit être gardée sans exception” a indiqué que la peine de mort est une “cruelle forme de châtiment” et aussi que “les peines à perpétuité sont une forme de peine de mort déguisée ». Dans le même esprit et plus récemment, le 14 septembre dernier, des membres de la police pénitentiaire ont appelé à s’engager à « garantir à ce que la peine ne compromette pas le droit à l’espoir et à ce que les perspectives de réconciliation et de réintégration soient assurées. Tout en corrigeant les erreurs du passé, on ne peut pas effacer l’espoir dans l’avenir. Car si on enferme dans une cellule l’espérance, il n’y a pas d’avenir pour la société », s'’écria-t-il : « Ne jamais se priver du droit de recommencer à zéro ! ». Que la juste peine ait pour horizon la réinsertion et la vie en liberté.

Dans mon pays, dans l’état de détention provisoire, un nombre considérable de ces détenus perdent la vie faute de soins médicaux appropriés, qu’ils devraient avoir à leur âge avancé.

Nous pouvons parler d’une faute professionnelle judiciaire dans ce que l’on appelle les procès des crimes contre l’humanité, car tous les accusés sont privés de liberté pendant le temps que le procès se déroule. Le maximum légal pour cet état de détention, qui atteint une durée maximale de détention préventive de 2 ans, pouvant être prolongé pour cause justifiée à 3 ans, n’est absolument pas respecté.

Pour illustrer ce qui précède, j’apporte quelques données statistiques sur la question évoquée dans mon pays mises à jour d’octobre :
·         Décès en prison : 533
·         Inculpés : 847
·         Condamnés : 983
·         Total: 2364
Prisons provisoires.
·         Moyenne de prisons provisoires : au-delà de 6 ans
·         Prison Provisoire entre 3 à 6 ans : 149 cas
·         Prison provisoire entre 6 à 10 ans : 290 cas
·         Prison provisoire de plus de 10 ans : 93

Pouvons-nous parler des droits de l’homme avec 10 ans de détention provisoire, c’est-à-dire sans condamnation ? TEXTE COMPLET Paris, 11 novembre 2019. Casppa France


[1] El cimiento de una República, de un verdadero estado de derecho, no debe ser el odio                    https://obispadocastrenseargentina.org/contenidos/roma-el-cimiento-de-una-republica-de-un-verdadero-estado-de-derecho-no-debe-ser-el-odio/

 
Présentation communication S.Exc. Mgr Olivera

 








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