lundi 25 janvier 2021

Lettre ouverte au Président Rosenkrantz et aux hommes de bonne volonté.

Monsieur le Président de la Cour suprême,

Vos paroles et prises de position publiques en tant que Président de la plus haute institution judiciaire argentine, sont scrutées et lues avec attention dans le monde entier. Elles illustrent une réflexion approfondie et mesurée, empreinte du respect de l’Institution que vous présidez et de la sauvegarde d’un bien commun précieux, la Constitution nationale.

Le Comité d’aide et solidarité avec les Prisonniers Politiques en Argentine (Casppa France) que je préside a par le passé[1], salué vos déclarations, tout en déplorant qu’elles ne soient pas suivies d’effet. Nous partagions pleinement les propos que vous firent alors sur les juges, rappelant en particulier qu’il ne leur revenait pas d’imposer une politique ni leur propre morale, mais d’appliquer le droit. Vous aviez conscience alors de l’état de défiance de la société à l’égard de la Justice, et appeliez vos comparses à contribuer à ce que la société puisse de nouveau croire en elle, en contribuant à améliorer le sort des citoyens par leur travail.

C’est en effet le leg de la philosophie politique à nos sociétés démocratiques, que nous puisons dans des œuvres comme le contrat social de Rousseau, ou encore le Léviathan[2] de Hobbes, qui pose les bases d’une société moderne, reposant sur la légalité du pouvoir. C’est aussi la portée de toute la pensée légaliste, qui va de Kant à Spinoza.

Il est saisissant de voir aujourd’hui à quel point nous nous sommes éloignés de ces principes. Lorsque vous demandiez aux juges de ne pas émettre de jugements selon leur intérêt personnel ou idéologique, vous faisiez le grave constat que cette pratique dévoyait le principe même de la justice. J’irais plus loin en déclarant que cette lente dégradation nous rapproche chaque jour davantage de « l’enfer terrestre » lié à l’état de nature décrit par Hobbes, et nous trouvons au bord de l’abime. Pour quelles raisons ?

Le démolissement de l’État de droit, de la démocratie, de la sécurité juridique, sont la conséquence de la persécution judiciaire que les accusés des soi-disant crimes contre l’humanité subissent depuis 2003, et de la déconstruction de nos institutions qui l’ont accompagné. L’illégalité devant la loi et la justice d’exception sont depuis cette date leur quotidien, au nom de ce que ces juges nomment « droits de l’Homme ». Comme Camus, je partage le fait que « mal nommer les choses, c’est ajouter de la misère au monde ». Instrumentaliser ainsi les bases fondamentales sur lesquelles ont été bâti la démocratie pour les dévoyer comme ces juges l’ont fait depuis toutes ces années, restera une tâche infamante pour ce pays. Car nul ne peut aujourd’hui dire qu’il ne sait pas ce qui se passe. Aucun juge, procureur, défenseur, greffier de ce pays ne peut ignorer l’ignominie qui est faite en leur nom, et au nom de la justice qu’ils pensent servir. Ils ne pourront pas se cacher derrière les discours lénifiants et les expressions grandiloquentes creuses qui ont été le creuset de cette persécution judiciaire. Car la réalité est que ces procès auxquels nous assistons depuis 2006 sont des procès politiques. Ils sont une perversion du procès pénal. On n’y trouve que des juges fédéraux affiliés au pouvoir kirchneriste, un droit de la défense empêché et indigne de ce nom, empêchant tout débat contradictoire, tout recours efficace, mais surtout, une partialité rendant vain le mot de procès équitable. Penser que ces violations se cantonneraient à cette partie de la société était une illusion, tant cette persécution s’est apparentée à un coup d’Etat judiciaire et constituait un dangereux précédent. 

Vous connaissez l’étendue des dégâts dans les moindres détails.  Vous savez combien les règles qui sont appliquées à ceux qui sont devenus de véritables « prisonniers politiques » ne sont pas les règles communes appliquées à tous, mais des règles d’exception. Le principe de légalité, de non-rétroactivité de la loi pénale la plus lourde, de la chose jugée, de l’égalité devant la loi, du respect du principe d’innocence, d’égalité des armes, rien de tout ceci n’est appliqué ni respecté. La boite de Pandore a été ouverte, et nul ne sait comment la refermer aujourd’hui. Ces « juges » ont même validé des concepts aberrants tels que « l’impunité gérontologique », ou encore contre « l’impunité biologique » pour pouvoir condamner et enfermer encore plus, et indéfiniment. Summum du génie tyrannique.

Ces violations continuent chaque jour, en toute impunité. Comment est-ce possible dans un pays qui, à priori, est doté de contre-pouvoirs et d’instances de contrôles ? Cela est rendu possible par le fait que cette justice ne se borne pas à punir, mais vise à dissuader.  Elle frappe pour terroriser. Voilà l’essence même du procès politique. Compte tenu de la perversion du système politique qui prévaut depuis un demi-siècle en Argentine, qui a toujours eu une forte emprise sur la justice, elle perdure. Et s’étend. Les procès politiques ne sont pas l’apanage des régimes autoritaires, ils peuvent toucher les démocraties en crise. L’Argentine en est aujourd’hui le triste exemple.

Lorsque récemment vous avez écrit dans la décision Tommasi, qui a été saluée, que l’on ne réparait pas une injustice par une autre injustice, vous reconnaissiez à mots feutrés cette réalité. Lorsque vous y soulignez « les conséquences lourdes imposées par une condamnation sur la liberté, l’honneur et le patrimoine de l’accusé », que les hypothèses « ne peuvent pas se suppléer à la valeur procédurale des éléments de preuve », que « la présomption d’innocence est le principe clé de l’ensemble du système pénal et doit fonctionner comme une garantie contre l’acceptation comme vérités d’hypothèses accusatrices incertaines, et comme un principe directeur de jugement pour préserver l’impartialité du tribunal », vous en dressiez le constat juste, mais quelles conséquences en avez-vous tiré ? La Cour que vous présidez peut-elle se contenter de simplement casser une telle décision, sans en tirer au fond toutes les conséquences alors que tous les indicateurs sont au rouge ?

Savez-vous combien de cas similaires ont déjà été écartés par vos prédécesseurs et ont été déclarés inadmissibles alors qu’ils étaient tout autant entachés de violations ? Peut-on demander aux magistrats de la Chambre fédérale de cassation, qui ont violé de tels principes basiques de droit pénal, alors qu’ils sont sensés contrôler la bonne application du droit, de revoir un jugement dans ces conditions ? N’est-ce pas comme demander à des voleurs de se comporter en gardiens ? Que peut bien attendre de cette Cour un homme qui attend en vain depuis des années qu’elle ne lui rende son honneur, et alors que ces magistrats violent dans leur grande majorité la Constitution et les Conventions depuis maintenant 14 ans?  Combien d’hommes et de femmes victimes de cette persécution judiciaire attendent depuis des années que la Cour suprême leur rende enfin justice ? Combien vont décéder avant ou le sont déjà? Lorsque tous les échelons de la justice fédérale en charge de ces procès sont à ce point corrompus par cette idéologie néfaste, et s’arrogent le pouvoir d’inventer de nouvelles normes spécifiquement pour une catégorie de justiciables, en lieu et place d’appliquer celles de la République, il y a tout lieu de penser qu’il ne s’agit pas de simples erreurs, mais relève d’une justice « de facto ». Cela doit être sanctionné.

En l’absence, il y a tout lieu de penser que ces violations continuent, et que les décisions de la Cour pour les corriger restent lettre morte, ou n’arrivent trop tard. A titre d’illustration, s’il fallait en prendre parmi tant d’autres, les juges de la Chambre fédérale de Cassation pénale viennent de décider début janvier[3], que la prison préventive indéfinie qui était appliquée aux accusés de crimes contre l’humanité n’était pas un problème, compte tenu de la gravité des faits qui leur étaient reprochés. Ces juges ne se basent absolument pas sur les normes de droit pénal existantes pour fonder leur décision, mais sur des interprétations illégales qu’ils créent de toutes pièces. Et cela est permanent depuis 14 ans. Tant que personne n’aura stoppé cette monstruosité juridique, il n’y a aucune raison que cela change. Rappelons que dans ces affaires dites de crimes contre l’humanité en Argentine, nous assistons à la violation du principe de légalité, de non-rétroactivité de la loi pénale la plus lourde, de la chose jugée, de l’égalité devant la loi, sont violés le droit à un procès équitable, avec l’inversion de la charge de la preuve, d’inégalité des armes, ou encore du doute qui ne profite pas à l’accusé, et un simulacre du droit à la défense. Il n’y a pas de débat loyal et la légalité n’est pas respectée. Mais il y a toujours présomption de culpabilité. Pardonnez, monsieur le Président, l’énoncé de cette liste fastidieuse. Je pourrai, pour résumer, vous dire que ces procès ne sont rien d’autre qu’une condamnation à mort sociale et physique qui ne dit pas son nom.

Ces magistrats méritent un procès politique et la déchéance de leur charge. Si rien n’est fait, l’Argentine continuera à s’enfoncer irrémédiablement dans cet « enfer terrestre » du Léviathan, et cela ne concernera pas que les personnes accusées illégalement de crime contre l’humanité. Nous assistons tous les jours à ce délitement de la société qui se répand d’autant plus vite que l’exemple de la violation des normes vient de ceux qui sont sensés la faire respecter.

Monsieur le Président, agissez pendant qu’il en est encore temps, et ne laissez pas les institutions judiciaires être ainsi perverties sous votre présidence. Défendez le droit au procès équitable dont vous êtes le garant, tel qu’il est garanti par la Constitution, et œuvrez pour demander la nullité de ces sentences arbitraires et illégales. Pour que la justice de ce pays soit un jour respectée, il faut qu’elle soit respectable, et cesse de dégrader la société comme elle le fait. Il y a urgence à agir. « N’ayez pas peur ! », mettez fin à ces injustices maintenant !

Pr Mario Sandoval, Président de Casppa France.

[2] Le Léviathan repose sur l’idée que les hommes ne peuvent pas s’entendre car trop méfiants et dominateurs pour cela. Il faut donc un tiers pour les faire se respecter l’un l’autre. Le Léviathan est ce tiers, cette force tutélaire qui s’impose aux contractants. Pour instituer cette force politique transcendante, les hommes doivent renoncer à leur liberté naturelle et ainsi transférer au Léviathan le pouvoir de contrainte et la force. Pour quel bénéfice ? En échange de leur liberté naturelle, le Léviathan assure la protection de ses sujets et de leurs biens.

[3]

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